Introduction
Suite à de nombreuses années d’austérité, la situation salariale, la reconnaissance des qualifications et les déroulements de carrière se sont fortement dégradés.
Le décrochage de la valeur du point par rapport à l’inflation — avec sa faible progression dans les années 2000, sa quasi-stagnation entre 2010 et 2021 inclus et son augmentation insuffisante en 2022 et 2023 — constitue l’élément principal du marasme actuel.
Avant et Aujourd’hui: Le Comparatif
Quelle situation prévalait en matière de salaires et de grille indiciaire dans les années antérieures ?
Il a semblé intéressant et pertinent de regarder les données existantes dans la période de mise en place du statut de 83-86 et de les comparer à la situation actuelle.
Pour ne pas s’exposer à la critique d’avancer des chiffres issus d’une séquence spécifique de l’histoire (la première élection de François Mitterrand), nous avons pris ceux de la fin de l’année 1980.
Rappelons que, à ce moment-là, la France avait connu 23 ans de présidences et de gouvernements de droite.
Synthèse
Pour l’essentiel, les chiffres de 1980 sont demeurés valables jusqu’en 1984 et « le tournant de la rigueur » avec, notamment, la désindexation de la valeur du point par rapport à l’inflation.
Ces rappels historiques soulignent combien les politiques d’austérité ont conduit aux profondes détériorations de la grille indiciaire et des carrières en quatre décennies.
Les Pertes de Pouvoir d’Achat
Nul ne peut le contester : les trop faibles augmentations puis le gel quasi complet de 2010 à 2021 inclus de la valeur du point ont gravement décroché celle-ci de l’inflation.
Tous les octrois de points uniformes intervenus depuis plus de 20 ans cumulés à toutes les réformes catégorielles ne compensent pas ce décrochage.
De fait, l’ensemble des données mises en avant traduisent non seulement un délitement catastrophique des carrières, un affaissement préoccupant de la reconnaissance des qualifications mais, également, des pertes de pouvoir d’achat cumulées d’une ampleur inédite.
Les augmentations insuffisantes concédées au titre des années 2022 et 2023 viennent encore alourdir l’addition pour les plus de cinq millions d’agentes et d’agents des trois versants de la Fonction publique.
C’est l’idée fixe d’Emmanuel Macron et de Stanislas Guerini : mieux récompenser le mérite des fonctionnaires, celles et ceux « qui se décarcassent ». Et qu’on se le dise, le projet de loi prévu pour le second semestre 2024 traduira cette orientation nous promettent-ils.
Mais, quelle est la réalité derrière ces formules ?
La première chose à préciser, c’est que c’est bien de primes dont il est question. C’est par ce canal de rémunération que le supposé mérite – des uns mais pas des autres – serait rétribué.
Problème n°1
La Macronie l’a déjà démontré : elle est hostile aux augmentations générales de salaires auxquelles elle ne se résout que contrainte et forcée.
Donc, l’accroissement du volume des primes, indispensable pour mener à bien leur visée se fera, une fois de plus, au détriment du traitement brut et de la valeur du point.
Problème n°2
Depuis des années, à part une légère inflexion due à PPCR, la part des primes ne cesse de s’accroitre dans la rémunération globale des personnels.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes.
Accentuer cette tendance (on pourrait alors atteindre 30 % de primes dans quelques années) c’est remettre en cause le salaire de base et la valeur du point comme éléments centraux de la rémunération des agent·es.
Problème n°3
Cette augmentation continue de la part des primes est porteuse de lourdes inégalités territoriales
et professionnelles.
En effet, les moyens budgétaires des différents secteurs (collectivités, ministères, hôpitaux…) varient énormément.
Si cela est sans conséquence sur la rémunération de base des salarié·es et sur les indemnités encadrées par un dispositif légal, il n’en est pas du tout de même sur les autres éléments, notamment les diverses primes et leurs taux.
D’ores et déjà, des disparités monumentales existent et créent des inégalités inacceptables.
À coup sûr, accroître le salaire au mérite sera accroître ces injustices.
Problème n°4
Pour les près de quatre millions de fonctionnaires employé·es dans les trois versants (les autres personnels sont des non-titulaires de diverses catégories), les primes ne sont pas comptabilisées dans le calcul pour la retraite (sauf pour une petite partie via le Régime Additionnel).
Cela a évidemment de fortes conséquences sur le niveau des pensions perçues et sur le taux de remplacement (le rapport entre les derniers salaires et la retraite versée).
Prenons un exemple des chiffres rappelés plus haut.
Mettons un agent ayant toutes ses annuités pour une retraite à taux plein:
Il percevra donc 75 % du dernier traitement indiciaire qu’il aura détenu durant au moins 6 mois.
Pour illustrer notre propos, disons que ce traitement brut de base de fin de carrière est de 3 000 euros mensuels.
En schématisant, sa retraite sera donc de 2 250 euros mensuels (75 % de 3 000 euros) avant cotisations sociales.
Mais, si cet agent émarge au taux moyen des primes – soit 23,4 % son traitement global était en fait de 3 702 euros (3 000 euros +23,4 %), avant, là également, cotisations sociales (et bien sûr, impôt sur le revenu prélevé à la source).
Or, 2 250 euros rapportés à 3 702 euros, ça ne fait plus 75 % mais environ 61 %.
Si, dans quelques mois, le taux de primes atteint les 30 %, toujours en moyenne, le salaire global de l’intéressé sera de 3 900 euros (300 euros + 30 %), le taux de remplacement lui, s’effritera encore d’avantage pour tomber à environ 57 %.
Problème n°5
Les primes sont globalement discriminatoires vis-à-vis des femmes qui représentent 63 % des effectifs de la Fonction publique.
Les derniers chiffres disponibles indiquent que, en moyenne et en équivalent temps plein, les femmes perçoivent une rémunération globale inférieure de 11,3 % à celle des hommes dans la Fonction publique.
Cette donnée est en réalité minorée puisque les temps partiels sont majoritairement le fait des femmes. Or, pour une large partie, l’appellation « librement choisi » est erronée puisque le temps partiel reflète les déséquilibres sociétaux que subissent les femmes.
Quoi qu’il en soit, ces inégalités salariales proviennent pour une large part des régimes indemnitaires.
On ne saurait mieux le dire que la Direction générale de la Fonction publique qui indique dans son rapport annuel : « À catégorie donnée identique, les primes et indemnités sont systématiquement inférieures pour les femmes ».
Mieux, si on ose s’exprimer ainsi, elle associe des chiffres à ses déclarations.
Les écarts de revenus entre les femmes et les hommes sont dus aux primes pour:
- 48 % en catégorie C
- 38 % en catégorie B
- 20 % en catégorie A
La « meilleure reconnaissance du mérite » va venir encore aggraver cette situation inacceptable.
Cela révèle combien l’engagement d’Emmanuel Macron pour « la cause des femmes » et l’égalité professionnelle est en vérité une complète malhonnêteté.
Problème n°6
Le mérite et la performance sont pour l’essentiel contraires aux missions de service public et à son bon fonctionnement.
Et ce n’est pas simplement la CGT qui l’affirme. Plusieurs travaux et études viennent confirmer cette antinomie.
C’est ainsi, par exemple, qu’une directrice de recherche à l’École des Hautes Études Commerciales écrit : « … la spécificité des services publics est dans le souci d’égalité entre les citoyens. On ne saurait importer sans discernement les outils de gestion du privé dans le public sans mettre à mal cet objectif.
Et encore : « Une prime à l’efficacité encourage l’agent à différencier son effort suivant les usagers et à allouer un effort à l’usager le plus productif, au sens plus rémunérateur ».
Et enfin : « Si la productivité du fonctionnaire dépend de l’usager qu’il sert et si le fonctionnaire peut allouer son effort entre plusieurs usagers, alors il s’occupera des plus productifs, rémunérateurs et
faciles. »
Nous ne pouvons qu’abonder.
Vouloir mesurer l’intérêt général par des objectifs quantifiables, c’est dévoyer les missions publiques.
Vouloir rémunérer les agentes et les agents selon « leurs performances », c’est tourner le dos à l’égalité de traitement des citoyens.
Problème n°7
La rémunération au mérite, c’est la porte grande ouverte au clientélisme et aux méthodes de gestion les plus opaques.
La rémunération au mérite, c’est la porte grande ouverte au clientélisme et aux méthodes de gestion les plus opaques.
En effet, si le système des réductions d’ancienneté d’échelons n’était certes pas parfait, il avait au moins la vertu d’être examiné et discuté en CAP avec des représentant·es des personnels.
Sa suppression, ainsi que le fait que les promotions au choix ne soient plus examinées en CAP – conséquences de la loi scélérate de 2019, ont considérablement augmenté le fait du prince.
Avec davantage de primes aléatoires, dont l’attribution et la modulation dépendront du seul bon vouloir
du chef de service compétent, ce sera la consécration de l’obscurité dans la gestion des personnels, du favoritisme et, en effet miroir, des discriminations.
Il s’agit d’un retour en arrière de plusieurs dizaines d’années.
Conclusion
Si on peine à voir quelle est la réelle plus-value de la rémunération au mérite, on voit en revanche avec les éléments ici exposés quels en sont les multiples dangers.
Ce projet funeste doit donc être abandonné.
Nos Revendications CGT / Synthèse
Depuis plusieurs années la CGT Fonction publique s’est dotée de repères revendicatifs.
Une partie d’entre eux concerne directement les salaires, les qualifications et les carrières.
L’égalité professionnelle
Il ne peut y avoir d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes sans égalité salariale.
De ce point de vue, on est encore loin du compte dans la Fonction publique.
Cette indispensable égalité salariale passe par plusieurs mesures.
La CGT Fonction publique revendique notamment un salaire égal pour un travail de valeur égale.
Elle réclame aussi une revalorisation des métiers à prédominance féminine, le plus souvent déclassés à l’heure actuelle (par exemple, par rapport aux filières techniques à majorité masculine).
Moins de prime pour davantage de salaire de base
On l’a vu dans notre argumentaire sur les primes : le caractère aléatoire de celles-ci les rend injustes.
Celles versées selon le supposé mérite sont de surcroît contraires aux missions du service public.
Elles sont discriminantes pour les femmes.
Elles ne comptent pas pour la retraite.
La CGT Fonction publique revendique un plan permettant un processus d’intégration dans le traitement brut des primes ayant un caractère de complément salarial.
Elle exige également l’abandon du projet de loi visant à faire du mérite et de la performance un élément majeur de la rémunération des agentes et des agents
La Proposition Revendicative de La CGT Fonction Publique Répond À Trois Grands Principes:
- Pas de salaire inférieur au SMIC tel que chiffré par la CGT
- Des catégories correspondant à des niveaux de qualification
- Une amplitude de carrière égale à deux fois le niveau du recrutement pour une carrière complète.
Que l’on ne nous objecte pas que c’est impossible et irréaliste.
La CGT propose une amplitude de grille indiciaire de 4,6.
Elle était de 4,2 en 1980.
La CGT propose une catégorie C finissant à 2,4 fois le SMIC.
C’était 2,1 fois en 1980.
Une amplitude de carrière de 2 pour toutes les catégories.
C’était 1,8 pour la C, 1,9 pour la B et 2,4 pour la A en 1980.
Et nous pourrions multiplier les exemples montrant que nos revendications n’ont rien d’insensées.