Le président de la République a inscrit, dans son programme électoral, l’objectif d’une réforme complète du système de retraite français : « Nous créerons un système universel de retraites où un euro cotisé donne les mêmes droits, quel que soit le moment où il a été versé, quel que soit le statut de celui qui a cotisé. »
Derrière cette affirmation fièrement drapée d’égalitarisme se cachent des intentions autrement pernicieuses : la volonté d’assurer la gestion de toutes les retraites directement par l’État, dans le but de garantir auprès des autorités européennes la baisse des niveaux de pensions, mais aussi le remplacement de la solidarité au sein des régimes par des mesures d’assistance par la puissance publique réduites a minima.
Les vieilles justifications ont commencé à ressurgir : faux privilèges des uns et des autres, oppositions stériles entre générations, entre professions, entre statut et emploi, entre actifs et chômeurs, entre malades et bien portants… Diviser pour mieux régner, la recette est connue.
Un « Haut-commissariat à la réforme des retraites » vient d’être constitué et la perspective d’une « loi-cadre » pour la fin 2018 se profile. On connaît par ailleurs la méthode Macron : passer par-dessus les « corps intermédiaires » – notamment les syndicats : nous sommes prévenus.
L’enjeu est considérable. Il s’agirait en effet de faire table rase du système de retraite de la Sécurité sociale, progressivement construit depuis 1945. Il a connu des avancées et des remises en cause régulières qui le fragilisent, mais avec un résultat : aujourd’hui et en moyenne, le niveau de vie des retraités français est à peu près comparable à celui des actifs. Certes, toute moyenne cache des inégalités, notamment celles entre les femmes et les hommes (1 884 euros pour les hommes contre 1 314 euros pour les femmes) mais, de fait, peu de pays sont parvenus à cette situation, y compris dans les pays les plus riches de l’Union européenne, où nombre de retraités sont en train de retomber dans la pauvreté.
C’est cette construction que nous défendons, imprégnée de justice sociale et de citoyenneté, que le projet Macron veut faire disparaître. Sous couvert de simplifications de notre système de retraite, ce sont les différents mécanismes de redistribution et de solidarité qu’il s’agirait de mettre en cause avec le principe « un euro cotisé donne les mêmes droits ». Ce sont donc les plus précaires qui y perdront le plus, car ils cotisent moins (source COR 2013).
Que des consolidations et des améliorations soient nécessaires pour garantir notre système de retraite, la CGT ne le conteste pas – d’ailleurs, elle le réclame ! Mais il ne s’agit pas de diminuer sans cesse les droits à retraite pour sauvegarder la progression des dividendes.
La CGT propose un ensemble revendicatif cohérent sur le dossier retraite, résultat de nos luttes et de nos congrès, qui vise au contraire à consolider l’ensemble de notre système de pensions. Ces propositions s’appuient sur des valeurs de justice sociale, prennent en compte la réalité des situations professionnelles, et comportent des mesures de financement conjuguant amélioration de l’emploi, des salaires, égalité femme/homme, reconnaissance des qualifications et garanties des retraites sur le long terme.
LES VALEURS ET PRINCIPES DÉFENDUS PAR LA CGT
Répartition / capitalisation
En répartition, les cotisations de tous les actifs de l’année N sont collectées et globalisées pour financer toutes les pensions de l’année N. La démarche est collective et ouvre des possibilités d’aménagement de solidarités dans la distribution des pensions.
En capitalisation, chaque cotisation est inscrite sur un compte individuel et mise sur le marché financier, jusqu’au départ à la retraite. Le « capital » constitué est transformé en rente mensuelle. La démarche est individuelle. Le niveau des pensions est soumis aux aléas du marché boursier et à l’âge de départ en retraite en fonction de l’espérance de vie.
Enjeux:
La répartition constitue la meilleure garantie qui puisse être donnée aux jeunes générations.
Par construction, il y aura toujours une activité économique produite par des salariés pour financer les retraites. En capitalisation il peut y avoir – et il y a eu – des faillites totales d’organismes financiers gestionnaires de retraites, ce qui ne peut pas être le cas pour un système par répartition.
La capitalisation s’inscrit dans la financiarisation dangereuse de l’économie.
La logique profonde de la capitalisation se résume ainsi : les parents retraités ont intérêt à licencier leurs enfants actifs pour « rentabiliser » les placements financiers qui alimentent leurs propres retraites.
Prestations définies / cotisations définies
Un régime à prestations définies garantit un niveau de pension au moment du départ à la retraite. Par exemple, il peut garantir un taux de remplacement de 75 % (le rapport entre la première pension et le salaire d’activité de référence). Pour obtenir ce résultat, il faut intervenir sur les paramètres de gestion du régime, notamment les cotisations (mais aussi l’âge, la durée, le salaire de référence…). Ce mécanisme donne des garanties pour l’avenir car il assure un niveau de prestation.
Un régime à cotisations définies garantit un plafond de cotisation, c’est-à-dire un niveau maximum de cotisation qui ne sera pas dépassé. À partir de cette « garantie », le niveau des prestations – notamment celui de la pension elle-même – est imprévisible à long terme, puisqu’il sera ajusté en fonction des possibilités permises par ce niveau de cotisation.
Un régime par répartition peut être à prestations définies ou à cotisations définies. Idem pour un régime par capitalisation.
Enjeux:
Le principe de la répartition domine largement le système de retraite français.
Les tenants de la capitalisation continuent leur forcing, même si leur succès est encore limité. Mais, notre système par répartition était aussi à prestation définie, centré sur la garantie d’un taux de remplacement (rapport entre la première pension et la rémunération moyenne des dernières années).
Les réformes successives ont progressivement fait basculer le système français vers une dominante « cotisation définie ». La pression continue des employeurs pour diminuer leur part de financement a largement trouvé écho.
L’enjeu de la prestation définie est donc un objectif central dans notre démarche.
Les principes de la retraite de la Sécurité sociale française : répartition + prestations définies + solidarité
Au double mécanisme répartition + prestation définie du système de retraite construit à la Libération s’ajoute un troisième pilier : la solidarité. Une solidarité interne au système de retraite et aux différents régimes.
Elle permet de mutualiser les risques pouvant advenir tout au long d’une vie de travail (chômage, maladie, handicap, bas salaires…) et de compenser des interruptions d’activité incontournables comme la maternité, le décès du conjoint…
La part de la solidarité a augmenté de façon importante dans l’ensemble du système de retraite français depuis sa création en 1945. Elle a nécessité des financements supplémentaires. Une partie provient de la CSG et autres taxes, c’est-à-dire hors cotisations vieillesse.
Enjeux:
La pression patronale pour limiter, voire réduire, les financements par cotisations sociales incite les gouvernements à restreindre la solidarité assurée par les régimes pour la transférer à la « solidarité nationale » avec un financement par l’impôt, ce qui représente autant d’économies pour les entreprises.
La retraite doit rester solidaire, comme le réclame la CGT.
Base / complémentaires
Les salariés du secteur privé ont un « régime de base » (la Cnav) et un ou des « régime(s) complémentaire(s) » affiliés à l’Arrco et à l’Agirc (cadres) ou à l’Ircantec (non titulaires de l’État et des collectivités).
Les salariés statutaires du secteur public (Fonction publique et régimes spéciaux) n’ont pas de régime complémentaire.
Les régimes de base sont gérés plus ou moins directement par l’État et/ou la Sécurité sociale.
Les régimes complémentaires du secteur privé sont gérés dans le cadre du paritarisme.
Enjeux:
Ce sont les enjeux concernant le paritarisme et les relations intersyndicales.
Un « accord » Agirc/Arrco (sans la CGT ni FO) organise la fusion de ces deux régimes pour le 1er janvier 2019 (voir la fiche spécifique consacrée à la fusion Arrco/Agirc).
LES PROPOSITION DE LA CGT
Des principes clairs pour une action syndicale cohérente
Les revendications de la CGT en matière de retraites et de financement sont présentées sur son site.
Les développements qui suivent mettent en avant les valeurs et les principes sur lesquels nous construisons notre action et les objectifs revendicatifs sur lesquels nous devons rester mobilisés.
Répondre au défi démographique : l’allongement de la vie doit rester un PROGRÈS
L’allongement de la durée de la vie est indéniable, même si celui-ci n’est pas égal pour tous. Cela résulte de progrès technologiques et notamment médicaux considérables, mais aussi de l’amélioration des conditions de travail et de vie au travail. Il y a donc davantage de retraités, qui vivent plus longtemps.
Ces bonnes nouvelles pour l’humanité doivent-elles être perçues comme s’il s’agissait de calamités ?
C’est en effet dans cet esprit que les derniers gouvernements ont abordé le défi démographique et ont prétendu le régler : puisque les retraités vivent plus longtemps, il faut travailler plus longtemps et baisser le niveau des retraites ! Pas question d’augmenter le financement à proportion de la démographie, il faut diminuer les parts (le gâteau des dividendes doit pouvoir, lui, continuer à grandir…) !
Les quarante dernières années ont vu notre système de Sécurité sociale produire une amélioration incontestable du niveau de vie des retraités et des personnes âgées. Il faudrait maintenant revenir en arrière pour préserver la progression du niveau des dividendes ?
L’allongement de la durée de vie doit rester un progrès. Il faut pour cela revoir le partage des richesses. Non pas entre jeunes et vieux mais entre les rentes et dividendes d’une part (coût du capital) et la rémunération du travail d’autre part.
Pour consolider la répartition solidaire à prestation définie : il faut faire de l’EMPLOI une priorité
Les trois principes sur lesquels a été construit notre système de retraite à la Libération sont nécessaires et indissociables : la répartition, la prestation définie et la solidarité.
- La répartition contre toute emprise de la capitalisation : tout le monde prétend défendre la répartition, y compris le patronat, mais tout est fait pour ménager une place de plus en plus importante à des compléments en capitalisation. Tout financement orienté vers la capitalisation est un financement soustrait à notre système par répartition et donc un facteur de fragilisation.
- La prestation définie est une garantie pour l’avenir et l’élément clé de la confiance des jeunes générations dans notre système intergénérationnel. C’est pourquoi le « taux de remplacement » de 75 % (base + complémentaires) doit rester un objectif garanti pour une carrière complète.
- La solidarité, organisée à l’intérieur du système de retraite et financée par les cotisations est alors un droit, lié au travail, permettant de répondre aux aléas du travail – emploi et rémunération – de la santé, du veuvage… C’est le contraire d’une allocation de charité ou d’assistance.
Pour permettre la mise en oeuvre de ces principes, il faut assurer un haut niveau d’emploi bien rémunéré. Signalons que l’emploi est la condition indispensable à tout mécanisme de retraite, y compris en capitalisation, par points, par comptes ou en annuités… Les ressources nécessaires au financement proviennent toujours de l’activité économique au moment de la liquidation et donc suivent le niveau de l’emploi. C’est pourquoi les propositions de la CGT en matière de financement ont toutes un double objectif : apporter un financement supplémentaire et contribuer à maintenir ou développer l’emploi salarié et de l’ensemble des travailleurs.
Le mode de calcul des cotisations retraites doit favoriser le développement de la masse salariale. Il s’agit par exemple de moduler les cotisations en baissant celles des entreprises qui donnent priorité à l’embauche et à la progression des salaires et de relever celles des entreprises qui priorisent les revenus financiers.
Ces propositions ont pour objectif de renforcer la qualité des emplois, tant pour le niveau des salaires que pour leur stabilité et les conditions de travail. La retraite étant le reflet de la vie active, la bataille des retraites s’inscrit pleinement dans la bataille de l’emploi, des 32 heures, des salaires et de leur égalité entre les femmes et les hommes, des conditions et de l’organisation du travail.
Assurer l’égalité et la justice avec un SOCLE commun de garanties pour tous
Si les modalités de calcul des retraites diffèrent entre secteur privé et secteur public, les niveaux de pensions à qualifications et carrières comparables sont équivalents. Le COR (Conseil d’orientation des retraites, organisme officiel regroupant les acteurs sociaux et les représentants des régimes) l’a plusieurs fois démontré. Comparer des mécanismes d’acquisition de droits n’a pas de sens, au contraire de la comparaison des niveaux de pensions. La seule vraie différence tient au fait que dans le secteur public, contrairement au secteur privé, la pénibilité est reconnue (sous strictes conditions) et prise en compte depuis longtemps. Mais depuis la dernière réforme elle a déjà été fortement attaquée (par exemple dans la fonction publique hospitalière : terminé le départ à 55 ans pour les IDE, AS…).
Ce qui importe pour la CGT c’est le socle commun de garanties, auquel doit aboutir chaque régime, éventuellement par des modalités différentes adaptées aux types de carrières du secteur concerné.
Ce socle, commun à toutes et tous, repose sur des garanties essentielles :
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- garantir la possibilité d’un départ à 60 ans (la décision étant à l’initiative du salarié) ;
- pour les salariés exposés à des facteurs de pénibilité, départ anticipé à 55 ans ou un trimestre de départ anticipé par années d’exposition ;
- assurer un niveau de pension d’au moins 75 % du revenu d’activité pour une carrière complète ;
- élever le minimum de pension au niveau du Smic pour une carrière complète ;
- indexer les pensions sur l’évolution des salaires et non les prix ;
- reconnaître la pénibilité par une politique de prévention et de réparation : amélioration des fins de carrières (par exemple temps partiel) et départs anticipés dans des conditions permettant réellement de les prendre ;
- une politique volontariste d’égalité salariale femmes/hommes, améliorant la retraite des femmes et abondant les ressources des régimes.
Pour COORDONNER l’ensemble du système et assurer la solidarité, il faut réintroduire de la démocratie : nous proposons la création d’une « maison commune » de l’ensemble des régimes de retraite.
La plupart des régimes de retraite disposent d’organes de gestion – en général des conseils d’administration – appelés à suivre les droits, les prestations et les comptes financiers pour chacun d’eux. Même si certains régimes n’en disposent pas (la Fonction publique d’État par exemple) et même si leurs compétences ont été considérablement amoindries au fur et à mesure des dernières réformes, les conditions minimales de débats existent.
En revanche, au niveau du « système » de retraite dans son ensemble, il n’y avait – jusqu’à la réforme Hollande de janvier 2014 – aucune institution chargée du « pilotage » d’ensemble, sinon le gouvernement lui-même avec le ministère des Affaires sociales.
Avec la loi du 20 janvier 2014 a été créé un « Comité de suivi des retraites » (CSR), composé de cinq « experts » accompagnés d’un « jury citoyen » d’une douzaine de personnes, renouvelé chaque année par tirage au sort et réuni sur une journée.
En juillet de chaque année, période qui ne doit rien au hasard, ces experts – et eux seuls – donnent leur avis au gouvernement sur ce qu’il y a lieu de faire en matière de retraites pour l’année à venir.
Voilà la réponse qui a été donnée à la revendication de la CGT de création d’un organisme de coordination chargé du pilotage d’ensemble ! Nous sommes évidemment loin du compte.
À notre demande de débat social, on a répondu gestion comptable ; à notre revendication de retour de la démocratie sociale, on a répondu technocratie…
En réalité, un nouveau pas a été franchi pour déposséder encore davantage les acteurs sociaux de leur possibilité d’intervention dans la gestion des retraites.
Notre revendication d’une « maison commune » de l’ensemble des régimes restant à construire, son principe doit être mis en avant, avec le retour à des élections sociales permettant de réintroduire la démocratie indispensable à la transparence et à la défense commune de notre Sécurité sociale.
La « Maison commune des régimes » aura entre autres pour mission d’organiser :
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- les solidarités internes aux régimes et entre régimes ;
- l’égalité femmes/hommes ;
- la reconnaissance de la pénibilité ;
- les solidarités financières entre régimes.