Source Le Monde du 11 septembre 2019 par Benoît Floc’h (article réservé aux abonnés)
Face à cette réforme menée par Gérald Darmanin, ministre de l’action et des comptes publics, des
mairies dénoncent un abandon de l’Etat.
Si la crise des « gilets jaunes » s’est calmée, les premières flammèches d’un autre incendie
apparaissent ici et là dans le pays. De Tonnerre (Yonne) à Saint-Antonin-Noble-Val (Tarn-et-
Garonne), de Quimperlé (Finistère) à Villeneuve-les-Corbières (Aude), de nombreux conseils
municipaux votent, depuis le début de l’été, des motions pour dénoncer la réorganisation du réseau
des finances publiques, dont le ministre de l’action et des comptes publics, Gérald Darmanin, a
présenté les grandes lignes en juin.
De quoi s’agit-il ? Dans le but de rapprocher le service public des usagers et de faire des économies,
M. Darmanin propose aux collectivités locales de changer radicalement l’organisation des
trésoreries. Entre 2007 et 2017, rappelle-t-il régulièrement, 1 200 centres des impôts ont été
supprimés sur l’ensemble du territoire. Et le système est aujourd’hui « à bout de souffle ». Il faut
donc « arrêter le jeu de massacre ». Son idée : rassembler certains agents des impôts pour gérer les
tâches administratives quand d’autres iront sur le terrain répondre aux questions des contribuables.
L’Association des comptables publics (ACP), qui représente deux comptables sur trois, assure que
cela se traduira par « la suppression de quelque mille trésoreries, remplacées par des agents
mobiles, se déplaçant sur rendez-vous ». Ce que l’entourage du ministre conteste : « Ce n’est pas
exact. Tout dépendra du résultat de la concertation que nous menons avec les élus et les syndicats.
Nous proposons de remettre des agents au contact de la population, à raison de 30 % de lieux de
services publics en plus, notamment dans les communes les plus rurales. » Gérald Darmanin promet
que, d’ici à la fin du quinquennat, les services des impôts seront présents dans 2 600 communes,
contre 1 900 aujourd’hui. Les agents seront « installés dans des “maisons France services”, dans
des trésoreries, dans des mairies ».
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Mouvement de fond inédit
Ce « Darmanopoly », dénonce la CGT, en pointe dans le combat contre le chamboule-tout des
perceptions, n’annonce rien de bon : « Pas la peine de lancer les dés, à tous les coups vous
perdez. » C’est bien ce que pensent les municipalités qui votent des motions. L’ACP, étonnée par ce
mouvement de fond inédit, en a recensé « une cinquantaine, émanant d’une quarantaine de
départements différents ». Mais, précise, Alain Paccianus, premier vice-président de l’association,
ce décompte « n’est pas exhaustif ». D’autres formes de mobilisation sont apparues et de
nombreuses délibérations ne sont pas remontées jusqu’à l’ACP. En Corrèze, par exemple,
département qui passerait de 22 à 5 trésoreries, selon la CGT, « 197 des 280 communes ont déjà
voté une motion ou vont la finaliser ce mois-ci, soit plus de 70 % ».
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De nombreuses petites communes ont voté de tels textes, mais de plus grosses collectivités leur ont
emboîté le pas, comme le conseil général d’Indre-et-Loire ou le conseil régional Nouvelle-
Aquitaine. Tous appréhendent « une hémorragie ». Rembercourt-Sommaisne (Meuse), par exemple,
déplore que « le projet vise à supprimer les deux tiers des trésoreries meusiennes ». Dans le
département d’Indre-et-Loire, on craint « la fermeture de toutes les trésoreries de proximité » :
« Sur treize, il n’en resterait plus que trois », s’insurge le président du conseil général, Jean-Gérard
Paumier (Les Républicains).
Certes, l’Etat promet la multiplication des « points de contacts », lieux où il serait possible d’obtenir
des réponses à des questions fiscales. Mais qui répondra ? « Ce service public “low cost” sera
assuré par des agents qui pourront ne pas être issus de la DGFIP [direction générale des finances
publiques] », déplore la motion du conseil régional de Nouvelle-Aquitaine, en dénombrant la
suppression de 93 trésoreries dans la région. Et « tout le monde ne peut pas avoir un avocat
fiscaliste », rappelle Jean-François Pichery, maire de Houx (Eure-et-Loir).
Tournées de camionnettes du service public
Bercy mise également sur le numérique ou des tournées de camionnettes du service public. Mais, là
encore, les communes mettent en garde. « Nos concitoyens sont en droit d’attendre autre chose que
des services en ligne ou des minibus écumant nos campagnes, les considérant ainsi comme des
administrés de seconde zone », considère Marc Guerrini, maire des Villages-Vovéens (Eure-et-
Loir). D’autant que la dématérialisation, « si elle facilite la vie de nombreux usagers, anonymise les
relations et peut être un véritable facteur d’exclusion pour une partie de notre population »,
rappelle le conseil général d’Indre-et-Loire.
Après des années de réorganisation des services publics, les élus locaux sont à fleur de peau.
Beaucoup d’élus considèrent qu’ils ont déjà fourni les efforts demandés. Les maires ruraux des
Alpes-de-Haute-Provence, par exemple, rappellent « qu’il y a deux ans » l’Etat avait poussé pour
qu’un hôtel des impôts soit installé à Sisteron. L’idée était de « regrouper la perception et les
finances, sans quoi tout serait regroupé ailleurs ». Les élus obtempèrent : « L’intercommunalité a
racheté le bâtiment de La Poste, fait 800 000 euros de travaux. » Or, aujourd’hui, s’insurgent-ils,
« unilatéralement, la décision est prise de fermer ».
Même incompréhension à Vitré (Ille-et-Vilaine). Le président de Vitré Communauté, Pierre
Méhaignerie, a écrit à Gérald Darmanin. « En Bretagne, lui rappelle-t-il, un très important travail
de rationalisation a déjà été opéré », avant de préciser à la main : « La proximité est souvent moins
coûteuse et plus humaine. »
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Coup de grâce
Cette nouvelle vague de réorganisation est donc vécue comme le coup de grâce. « Il s’agit de la
disparition des quelques derniers services de l’Etat qui étaient encore présents sur nos territoires
ruraux », dénonce la présidente de la communauté de communes Grand Sud Tarn-et-Garonne,
Marie-Claude Nègre. A Sainte-Anne-Saint-Priest (Haute-Vienne), on dénonce « l’abandon par
l’Etat des territoires ruraux alors même que le besoin de services publics de proximité et de qualité
n’a jamais été aussi prégnant ». La délibération regrette qu’« à l’image de tous les services publics,
de La Poste, de Pôle emploi, des transports, de l’éducation, des services décentralisés de l’Etat,
celui des finances publiques va également disparaître de [leur] territoire, en dépit des besoins de
[leur] population, accentuant la désertification de [leurs] territoires ruraux ».
« On est en train de nous abandonner complètement au profit des zones urbaines et périurbaines.
C’est de plus en plus clair, soupire Gilles Delaur, maire de Limousis (Aude). J’en arrive à me
demander à quoi sert encore l’Etat, si ce n’est ramasser des impôts… » La ville de Ham (Somme)
dénonce, elle, « une restructuration d’une ampleur jamais connue » et redoute « un vide sidéral
pour les usagers et les collectivités à l’est de la Somme ». Ce sentiment d’abandon est mâtiné de
l’impression d’être méprisé par la capitale. « Sorti de Paris, la France n’existe plus, note ainsi
Olivier Poutrieux, maire de Rembercourt-Sommaisne. Comme dirait Jean Gabin dans Le Président,
on est dirigé par des lascars qui fixent le prix de la betterave mais ne sont pas foutus de planter un
radis. »
« On a le sentiment d’être revenu à l’époque féodale, avec le seigneur là-haut et nous
qui faisons ce que nous pouvons pour survivre… », pointe Gilles Delaur, maire de
Limousis, dans l’Aude.
Cette colère sourde qui macère depuis des années est en train de mal tourner, préviennent plusieurs
maires. « La situation est très grave, indique par exemple Olivier Poutrieux. Je crains une
jacquerie. Nous, on la sent venir, et ça me fait peur. Mais quand vous traversez certains bourgs, ici,
des petites villes, c’est une catastrophe. Tout tombe, il n’y a plus rien. Ça se meure… » Son collègue
de Limousis a la même impression : « On a le sentiment d’être revenu à l’époque féodale, pointe
Gilles Delaur, avec le seigneur là-haut et nous qui faisons ce que nous pouvons pour survivre… »
L’exécutif semble avoir pris conscience du danger. Selon nos informations, en juillet, le président de
la République a vertement reproché à son ministre cette initiative qui risque de « rallumer le feu »
de la colère populaire. L’entourage de M. Darmanin dément fermement cette explication houleuse et
tente de relativiser la bronca. « Dans le cadre d’une grande transformation, confie-t-on, des
oppositions se forment, c’est normal. Des soutiens aussi, car beaucoup d’élus soutiennent ce
projet. » Par ailleurs, l’entourage du ministre rappelle que le projet est en discussion : « Partout les
concertations se poursuivent et nous sommes dans une démarche de dialogue pour arriver à des
solutions communes. » Un premier bilan sera établi à l’automne.