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la loi Travail nous concerne t-elle ?
En tant que fonctionnaires d’État, nous dépendons du Statut Général des Fonctionnaires.
Le statut des fonctionnaires n’est pas étranger au Code du Travail. Ses principes fondamentaux s’appliquent aux agents publics, fonctionnaires et contractuels, en particulier en ce qui concerne les conditions de travail, d’hygiène et de sécurité et le temps de travail.
Le temps de travail est évidemment un sujet commun au public et au privé. Aujourd’hui, dans le public, comme dans le privé, le régime de droit commun est un temps plein de 35 heures hebdomadaires.
La Loi travail nous concerne directement. Car en renversant la hiérarchie des normes et en remettant en cause le régime de faveur, elle constituerait un outil privilégié entre les mains des directeurs locaux pour remettre en cause nos principales garanties statutaires.
Qu’est ce que la hiérarchie des normes et le principe de faveur ?
L’inversion de la hiérarchie des normes est au cœur du projet de loi Travail, c’est son fameux article 2 qui cristallise l’opposition entre les partisans et les adversaires de cette Loi.
L’inversion de la hiérarchie des normes permettrait à un accord d’entreprise, moins favorable aux salarié-e-s, de déroger au droit du travail inscrit dans la loi et aux conventions collectives, alors que jusqu’à présent un texte de rang inférieur ne pouvait qu’améliorer le texte de rang supérieur du point de vue des salarié.e.s.
Dans un contexte de chômage élevé et donc de rapport de force défavorable aux salarié-e-s, les patrons pourraient proposer et obtenir la conclusion d’accords d’entreprise permettant à la fois une augmentation du temps de travail et une baisse des rémunérations. Ils permettraient notamment :
– de mettre en œuvre des accords dits offensifs (sans difficultés financières à la différence des accords de maintien dans l’emploi –défensifs- actuellement en vigueur) permettant de baisser les salaires et/ou augmenter le temps de travail pour une durée de 5 ans ;
– de majorer les heures supplémentaires de seulement 10% au lieu de 25% (jusqu’à 8 h) et 50% (au-delà de 8 heures) actuellement ;
– d’augmenter la journée de travail de 10 h par jour à 12 h ;
– d’augmenter la durée hebdomadaire de travail de 44 h maximum sur 12 semaines à 46 h maximum sur la même période ;
– d’étendre le forfait jours à l’ensemble des salarié-e-s de l’entreprise.
Ces accords primeraient sur le Code du travail et sur les conventions collectives, c’est à dire sur toutes les dispositions plus favorables aux salarié-es.
C’est la voie ouverte au dumping et au moins disant social avec une réglementation du travail propre à chaque entreprise. Rien n’échappera à cette logique infernale de dislocation des droits collectifs.
Or, il est illusoire de penser que cette logique, équité oblige et comme ce fut le cas en matière de retraites, ne puisse pas s’appliquer à la Fonction publique. A la DGFiP, l’inversion de la hiérarchie des normes permise par la loi El Khomri serait l’outil juridique de mise en œuvre des décisions de directeurs locaux imposant des règles de gestion et d’organisation du travail locales moins favorables que les règles nationales actuelles. Le temps de travail des agents, dans la ligne de mire des pouvoirs publics, pourrait dès lors être concerné.
Comment est organisé le temps de travail à la DGFIP ?
Le décret du 25 août 2000 actualisé, sur l’aménagement réduction du temps de travail (ARTT) dans la Fonction publique, établit un temps de travail annualisé à 1607 heures (avec la journée de solidarité). Le nombre de jours de congé est de 25.
L’arrêté du 8 février 2002 fixe le nombre maximum de jours de repos, hors fractionnement, à 44, dont 25 jours de congés réglementaires, et détermine les personnels relevant du régime du forfait horaire.
1 à 2 jours de congés supplémentaires peuvent être accordés en cas de fractionnement des congés.
A la DGFiP, c’est l’instruction générale harmonisée relative au temps de travail des agents qui fixe les modalités d’organisation du temps de travail. Le nombre de jours de congés est de 32. Il y a 4 modules horaires de 36 h 12 à 38 h 30 hebdomadaires qui prévoient une durée journalière de 7 heures 14 à 7 h 42 avec de 0 à 12 jours ARTT (un module à 35 heures existe en plus ). Les agents choisissent l’un de ces modules.
Un système d’enregistrement du temps de travail a été instauré. Un règlement intérieur type constitue le cadre de référence des horaires variables avec :
– l’amplitude des plages de travail (fixes + variables) qui ne peut excéder 11 h 30,
– la durée maximale de la journée de travail fixée à 10 heures,
– la pause méridienne décomptée pour 45 minutes,
– la durée des plages fixes dont le cumul ne peut être inférieur à 4 heures,
– la limite des débits-crédits fixée à 12 heures par mois.
Si chaque service se prononce par vote sur son règlement-intérieur type, ses dispositions ne peuvent pas déroger au règlement-intérieur national. Mais des dérogations plus favorables peuvent exister (Alsace-Moselle et D.O.M.).
Pour les agents au forfait, le nombre de jours de congés est de 32, plus les jours de fractionnement le cas échéant, plus 12 jours ARTT.
Tous les agents bénéficient, en plus, d’une journée d’autorisation d’absence exceptionnelle.
Quelles sont les menaces sur le temps de travail ?
La question du coût du travail des agents de la Fonction Publique est posée comme se pose celle du coût du travail des salariés du privé. Pour supprimer toujours plus d’emplois dans la Fonction publique, il faut faire travailler plus les fonctionnaires en place. C’est pourquoi, il faut remettre en cause la réglementation du temps travail actuellement en vigueur et les principaux droits des agents qui y sont attachés.
Le rapport Laurent sur le temps de travail dans la Fonction publique, publié récemment en catimini, a été commandé par Manuel Valls dans cette optique. Il vient en complément d’un récent rapport de la Cour des comptes qui préconisait une hausse de la durée effective du travail pour permettre de faire face à une baisse des effectifs.
Le rapport Laurent commence par pointer le fait qu’en moyenne, les fonctionnaires travaillent moins que les 1607 heures réglementaires (1584 heures soit 1,4 % en moins).
Il préconise de remettre à plat toutes les dispositions locales plus favorables : Pour nous, ce serait la fin de la journée d’autorisation exceptionnelle.
Il préconise de laisser le bénéfice des jours de fractionnement aux seuls fonctionnaires travaillant 7 heures par jour et 35 heures par semaine et ne bénéficiant pas de jours ARTT. C’est à dire, pour nous, la disparition pure et simple des deux jours de fractionnement.
Il préconise également de mettre fin à la sur-rémunération des temps partiels à 80 % ou 90 % : Pour nous, c’est la fin de la rémunération supplémentaire de 6 % pour les agents à 80 % et de 3% pour ceux à 90%. Pour rappel, le temps partiel est sollicité à 88 % par les femmes.
Enfin lors du groupe de travail du 20 mai 2016 sur l’égalité professionnelle, la DG a évoqué la possibilité de modules de 4,5 jours avec 35 heures hebdomadaires. De telles dispositions permettraient aux directeurs locaux de refuser les temps partiels au prétexte des sous-effectifs.
Quel rapport avec la loi Travail ?
Avec l’inversion de la hiérarchie des normes, les directeurs locaux pourraient prendre des décisions locales dérogeant au cadre national. Ce mouvement de déconcentration des pouvoirs en leur faveur est d’ores et déjà engagé avec la démarche stratégique et maintenant les lignes directrices de la direction générale. Les exemples sont déjà nombreux : ce sont les directeurs locaux qui décident de l’ouverture des services au public, de la réduction du nombre de résidences d’affectation nationale ( à PARIS, c’est le directeur régional qui a décidé d’affecter les EDR sur la seule RAN PARIS ), du gel de postes lors des mouvements locaux d’affectation, des fusions ( SIP – SIE ) et des restructurations locales (exemple : « passage » de la dépense du service public local à la ville de Paris ).
La logique de la loi Travail leur permettrait d’aller encore plus loin et d’avoir la main sur d’autres domaines comme les règles d’affectation (dont le délai de séjour), le régime indemnitaire, le temps de travail des agents, l’octroi des temps partiels, des congés formation, des disponibilités.
Si dans la fonction publique et en droit administratif, la hiérarchie des normes s’impose toujours, dans le protocole d’accord PPCR, rejeté par la CGT, FO et SOLIDAIRES, il est notamment inscrit que la « simplification des règles de gestion statutaire au profit d’une gestion plus proche de l’agent devait être au cœur de la gestion des ressources humaines dans la fonction publique. » . C’est donc là aussi, la logique de l’inversion de la hiérarchie des normes qui se profile.
Mais nos problèmes à la DGFIP ne sont-ils pas plus importants ?
Les suppressions d’emplois, la dégradation de nos conditions de travail et de nos missions, la remise en cause de nos règles de gestion sont nos préoccupations quotidiennes en tant qu’agent.es des finances publiques. Les lignes directrices de la DGFIP publiées récemment sur ULYSSE comme le prélèvement à la source vont provoquer de nouveaux bouleversements. Mais notre combat contre la Loi El Khomri, à cet instant, constitue notre priorité.
Obtenir le retrait de la loi, c’est mettre un coup d’arrêt aux politiques antisociales que nous subissons depuis plusieurs années. Cela nous placera dans des conditions plus favorables pour gagner sur nos revendications DGFIP.
Quelle est la position de la CGT ?
La CGT après avoir analysé le projet de la loi Travail se prononce pour son retrait du fait, notamment, de 4 points particulièrement régressifs :
– l’inversion de la hiérarchie des normes qui constitue un recul considérable. Le principe de faveur a été instauré en France à l’issue de la grève générale de juin 1936,
– l’assouplissement des licenciements économiques et l’interdiction pour le salarié.e de contester ces licenciements devant le juge prud’homal,
– Le référendum dans l’entreprise qui pourrait être organisé par des organisations syndicales minoritaires (30 % des voix aux élections) avec de la part de l’employeur le chantage à l’emploi et/ou la délocalisation.
– La réduction des moyens de la médecine du Travail.
Cette loi renverrait aux relations sociales du 19e siècle. Le Code du travail a été instauré en 1910, pour protéger les salariés car entre un employeur et un salarié, il y a un lien de subordination. Il n’y a pas d’égalité entre le patron qui détient l’outil de production et l’ouvrier qui lui loue sa force de travail manuelle et intellectuelle.
La CGT défend les droits matériels et moraux des salarié.es et combat toutes les formes d’exploitation. En ce sens, elle combat les mesures régressives de droite comme celles de gauche.
La CGT est-elle la seule organisation à demander le retrait de la loi Travail ?
Depuis le début du conflit en mars 2016, c’est un front unitaire de sept organisations syndicales qui demande le retrait de la loi Travail : CGT, FO , FSU (enseignants), Solidaires, UNEF (étudiants), UNL et FIDL (lycéens).
Le gouvernement mène une campagne contre la CGT pour tenter de disloquer cette unité d’action syndicale. Le patron du MEDEF Pierre GATTAZ, a même insulté la CGT en nous traitant de « voyous » et de « terroristes ».
Ces gens-là oublient que dans la grève, dans les blocages et dans les manifestations, l’unité des salarié.es avec leurs organisations syndicales ne faiblit pas. Bien au contraire !
Ne faut-il pas s’adapter et accepter ces réformes ?
La question est plutôt la suivant : les réformes régressives imposées à la population depuis près de 40 ans ont-elles permis d’améliorer la situation économique et sociale dans le pays ? Naturellement non puisqu’elles ont accompagné et même nourri une augmentation continue du chômage, de la précarité et un accroissement des inégalités. Parce qu’il n’a jamais été établi, ni en France ni ailleurs, que la déréglementation du travail permettrait de créer des emplois pérennes et de faire baisser le chômage, la loi Travail conduirait aux mêmes effets que les réformes précédentes : pas d’emplois supplémentaires, pas moins de CDD (que le gouvernement a d’ailleurs renoncé à surtaxer suite à une nouvelle pression du MEDEF) et, au contraire, plus de CDI précarisés. Elle rajouterait de la précarité à la précarité en privant à la fois l’accès de la jeunesse à des emplois stables et en dépossédant les salarié.e.s, dans leur ensemble, de leurs droits fondamentaux. C’est pourquoi, son retrait demeure, plus que jamais, une nécessité. Pour la CGT, une régression sociale ne se négocie pas, elle se combat…
Cette grève n’est-elle pas politique ?
Cette grève n’a pas pour but de faire tomber le gouvernement, mais comme nous l’avons expliqué d’obtenir le retrait de cette loi. Il s’agit de défendre le droit des salarié.e.s, ce qui est pleinement le rôle d’un syndicat. C’est au contraire, le premier ministre qui politise à outrance le conflit et qui en fait une affaire personnelle. C’est le gouvernement qui joue la politique du pire. Mais, il ne peut pas décider seul contre la majorité ! La minorité qui bloque, c’est lui !